Imaginez une Sibérie de légende, où l'on ne sait plus très bien où commence l'humanité et où s'arrête l'animal, ou le monstre ; où la nature, les forces immenses et immémoriales se mêlent dans le sang, le sel, le souffle, le souffre et la glace ; où il faut lutter pour sa simple survie, pour simplement manger, passer l'hiver, respirer sans devenir bleu. Affronter la mort à armes égales. Une terre qui a connu la guerre, où la mémoire est partie en fumée et les corps des hommes en débris ; où l'on ne sait plus très bien si le temps passe ou ne passe pas ; où le récit se déroule en spirale et se recoupe petit à petit ; où l'on comprend, petit à petit. 119 pages de densité, de pureté, poignantes, douloureuses, cristallines. Une histoire de désir aussi, et de féminité, de baiser que l'on donne comme on boit un essoufflement, de corps qui redevient minéral, argileux, de froid qui vous transperce la peau, de sentes que l'on suit parce que l'on doit les suivre, et que c'est ainsi. On en tourne les pages comme on creuserait la neige, à la recherche d'une racine, ou on scierait la glace, les doigts brûlants, pour pêcher, espérant le poisson qui finit toujours par mordre. Par son authenticité, son humilité précise, le sentiment d'infini dans lequel il vous embarque, vous dépayse et vous fait retrouver vos racines à la fois, Une immense sensation de calme est en même temps une leçon et un espoir. Leçon, parce qu'il y a comme une vérité du monde qui se tient là, qui vibre là ; que la guerre et ses conséquences, oui, ça doit être quelque chose comme ça ; que d'amours et de légendes peuvent encore surgir des romans ; que pour ceux qui trouvent autour d'eux trop de vaines paroles, souffle toujours le vent qui lui ne ment pas. Espoir, bien entendu parce qu'on attend déjà le prochain roman de Laurine Roux ; mais aussi parce que, dans cette France qui a perdu son calme et où l'on ne sait plus se parler, il est très rassurant, et joyeux d'une joie âpre et noire, de se laisser porter, magnétiser presque, par une nouvelle voix qui sait si bien écrire.
Une immense sensation de calme est le premier roman de Laurine Roux. J'ai mis longtemps à l'ouvrir. Trop. Il m'avait pourtant été plus que vivement recommandé avant même qu'il ne soit couronné par le prix révélation de la SGDL. Cela peut sembler bizarre, d'avoir envie de parler d'un roman portant un tel titre juste le jour de l'« Acte III », dans un pays surexcité au possible. Pourtant, non seulement parce qu'il est très d'une très grande qualité littéraire, en soi, et, à mon avis, appelé à durer ; mais encore parce qu'il a des choses à nous dire, par contrepoint, dans l'actualité immédiate, il m'a paru intéressant de revenir dessus, malgré les lauriers déjà abondants de la presse, du net, des librairies et des médiathèques.

Philippe Perrier
Ancien journaliste littéraire, métis corso-greco-mayenais, taquineur de muses à ses heures perdues et actuellement stagiaire de la formation professionnelle "Grande Ecole du Numérique" Afpa/Aflokkat sur Ajaccio. Trois manuscrits achevés, deux en cours.
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